La bataille de Fleurus - 29 août 1622, épisode de la guerre de Trente Ans
1622, un épisode de la guerre de Trente Ans.
Si 1622 est l’année de la bataille de Fleurus, 1621 est celle du tournant qui amènera à cet événement. Philippe III et Albert de Habsbourg s’éteignent et Philippe IV reprend le contrôle des Pays-Bas, bien décidé à y relancer la guerre contre les Provinces-Unies.
Début 1622, Philippe IV a lancé Ambrosio Spinola à l’assaut de Bergen-op-Zoom. Dès qu’ils en sont informés, Christian de Brunswick et Ernst von Mansfeld prennent la route. Où pourraient-ils aller d’ailleurs ? Licencié par Frédéric V, poursuivis par les armées unies du Saint-Empire et espagnoles, la meilleure chance des deux hommes et de leurs troupes est de rejoindre Bergen-op-Zoom, d’en lever le siège et d’entrer ainsi « en amis » dans les provinces hollandaises.
Une pensée doit également assiéger Ernst de Mansfeld, fils illégitime du Gouverneur de Luxembourg et de Bruxelles : il a été dépouillé de son héritage au profit d’Isabelle de Habsbourg. Pénétrer dans les Provinces-Unies en ravageant le « royaume de Basse-Belgie » ne doit pas lui être particulièrement désagréable. Qui plus est, ce pays est riche. Pour ces hommes qui ne se battent pas par idéal, et doivent leur survie ou leur richesse à la guerre, au pillage et au meurtre, c’est une proie tentante.
La menace représentée par ces troupes est donc importante. En août 1622, le duc de Nevers, gouverneur de Champagne pour le compte du Roi de France Louis XIII, vers laquelle elles font mine de s’avancer en passant par Verdun, s’entend avec les Espagnols pour leur barrer la route. Le but de la Ligue catholique est, par un mouvement rapide, de barrer le passage vers la Hollande. Habiles tacticiens, Christian et Mansfeldt ont deviné la ruse et entraînent, à marche forcée, leurs troupes vers les Pays Bas espagnols.
Toutefois, quand s’ouvre ce chapitre, la confiance est du côté espagnol. Les troupes de Mansfeldt et d’Halberstadt, démoralisées par la série de défaites subies, semblent sur le point de faire face à l’infanterie espagnole que l’on dit invincible. On se flatte donc du côté catholique de pouvoir bientôt les détruire. Mais les mercenaires ne manquent pas de ressources : les cavaliers ennemis prennent les fantassins en croupe et franchissent la Meuse à Mézières et la Sambre à Gué dans la région de Maubeuge. Après avoir fait mine de foncer directement vers l’ouest de Bruxelles en direction de la côte, la troupe de mercenaires infléchit sa route vers le Nord. Le détour est important : une bonne raison doit les avoir obligés à suivre cette route.
En fait, le représentant du Roi de France en Champagne, en plus de ses accords avec les espagnols, s’est entendu avec Mansfeld et Brunswick pour qu’ils quittent les terres de France sous 48 heures en l’échange de 500 chevaux chacun. Mais comment dès lors rejoindre les Provinces-Unies ?
L’infante Isabelle, informée de cette « visite impromptue », a réagi en ordonnant au grand bailli du Hainaut Philippe-Emanuel de Croy, comte de Solre, de prendre les mesures nécessaires pour empêcher l’entrée de Mansfeld dans le comté. Il a été décidé d’armer les paysans et de surveiller « avenues et passages ». On met également les places fortes de Mariembourg, Philippeville et Charlemont (place-forte construite en 1555 située sur les hauteurs de Givet) en alerte et certaines populations directement menacées sont invitées à évacuer.
Le 24 août 1622, la troupe de mercenaires incendie le bourg de Mézières et, le soir venu, campe entre Thin-le-Moutier et L’Échelle, villages situés à l’ouest de Charleville-Mézières. La frontière « belge » de ce côté est garnie de retranchements et de troupes et ne pourra être franchie sans problème. Qui plus est, en cas d’alerte, les digues retenant les eaux des viviers, nombreux dans la région, peuvent être brisées à tout moment pour engloutir les terres et bloquer les troupes.
Incapable d’aborder l’entre Sambre et Meuse bien défendue, que précède l’impénétrable forêt de la Thiérache, il ne reste à la troupe qu’une solution : tourner ces défenses par Binche pour pénétrer dans les plaines du Brabant en passant par Aubenton, Hirson, La Capelle, Étroeungt, Avesnes. C’est en pillant et incendiant au passage quelques cités que le plan se réalise.
Le 27 août 1622, ayant franchi la Sambre à côté de Maubeuge, l’évêque luthérien et Mansfeldt entrent dans ce qui deviendra un jour la Belgique, et font arrêt à proximité de l’abbaye de Bonne-Espérance d’Estinnes.
Le 28 matin, ils passent à portée d’arquebuse de Binche d’où, du haut des remparts, on leur tire quelques coups de feu pour les tenir à distance. Ils poursuivent leur marche en empruntant la chaussée Brunehaut. Désormais, par la Campine, Bergen op Zoom n’est plus qu’à quelques jours de marche. Arrivés dans la plaine de Fleurus, ils camperont en avant de Wagnelée vers les 6 heures le soir du 28. Soit une étape de près de 50 kilomètres.
Informé de la marche de l’ennemi, don Gonzalès de Córdova, dont les troupes occupaient le Luxembourg, n’a pas fait moins bien en se hâtant de prendre le chemin des Pays Bas espagnols. Parti de Luxembourg où il stationnait, il a franchi la Meuse à Givet et, le 27 au soir, avec sa cavalerie, atteint Pont de Loup. Ignorant où se trouve son ennemi, il envoie en reconnaissance l’un de ses officiers, Philippe de Sylva, dans la direction de Binche avec ordre d’obliger les paysans à prendre les armes et à harceler l’ennemi. Mais c’est déjà trop tard. Au moment où Gonzalès de Córdova est rejoint par son infanterie, il apprend que les troupes ennemies, ayant dépassé Binche, marchent déjà sur Fleurus. Il part donc immédiatement pour leur couper le passage.
Laissant à deux de ses officiers, Diego de Ibarra et Guillaume Verdugo, la mission de pousser la progression de l’infanterie, don Gonzalès, avec toute sa cavalerie, devance son ennemi et prend position au nord de Fleurus. Ici, les versions entre les historiens s’étant intéressés à la bataille de Fleurus divergent. Pour certains, c’est le dos appuyé à Fleurus qu’il se positionne, pour d’autres, c’est dos à Saint-Amand, et pour les derniers c’est le dos appuyé à la chaussée romaine (chaussée Brunehaut) qu’il attend le gros de sa troupe.
Toutes ces versions portent en elles une part de vérité, et la réalité est plus que probablement un mélange de ces dispositions. Toutefois, comme en attestent des cartes et documents d’époque ainsi que des relevés topographiques plus récents, la position la plus probable se situe à la gauche de l’ancien chemin de Fleurus à Nivelles, avant la croisement avec la chaussée Brunehaut. Il existe à cet endroit deux élévations de terrain distantes de quelques centaines de mètres propices à l’installation de l’artillerie et de troupes.
Vers les 5 h 30 du soir ce 28 août, enfin rejoint par son infanterie, son dispositif est complet malgré une pluie d’orage torrentielle. Son armée est divisée en quatre corps de troupes. Les troupes sont disparates mais, comme le montrera la suite, bien formées et disciplinées. On y trouve des Espagnols, des Bourguignons, des Allemands, des Italiens et des Wallons.
Placée à l’aile droite, la cavalerie espagnole assure la jonction entre les troupes wallonnes retranchées dans les fermes de Chassart et les carrés des quatre corps de troupes. Tenant la position à droite, les Italiens du marquis de Campolataro. À sa gauche, le régiment d’Isenbourg, la compagnie d’Emden et quatre compagnies franches, des troupes mercenaires, dont on s’attend à ce qu’il reçoive l’essentiel du choc. Viennent ensuite les Allemands du comte Otto Henri Frugger dirigés par le lieutenant-colonel Camargo. Tenant l’aile gauche, le premier corps sous les ordres de Diégo d’Ibarra et de Guillaume de Verdugo est composé d’Espagnols, de Bourguignons et de Wallons.
A peine l’armée de Cordova a-t-elle terminé ses préparatifs que l’ennemi apparaît dans le lointain venant de la direction de Fleurus : il est 6 h. Surpris d’apercevoir les troupes de don Gonzalès, Halberstadt et Mansfeldt font faire halte à leurs bandes. Un instant ils feignent de vouloir forcer le passage par la droite des Espagnols mais renoncent rapidement.
L’obscurité venue, pour tromper l’adversaire sur leurs forces réelles, Mansfeldt et Halberstadt font allumer de grands feux de tous côtés et battre le tambour tandis que de petits groupes pénètrent dans Fleurus pour la piller et l’incendier.
Les forces respectives qui le lendemain, 29 août, vont se heurter à Fleurus comprennent du côté des Luthériens 48 grosses unités de cavalerie, soit environ 7 000 cavaliers, et 7 000 à 8 000 hommes de pied. Du côté des Espagnols de la Ligue catholique on aligne 8 000 fantassins et 2 000 cavaliers. La disproportion des forces peut sembler importante mais elle est le reflet de la spécificité de chacun des deux camps.
Dès l’aube du lundi 29 août, la bataille commence. Reprenant la tactique de la veille, un gros de cavaliers tente de les déborder sur la gauche espagnole. Don Gonzalès fait renforcer hâtivement cette aile et disperse l’attaque par quelques salves de canons. La réponse est immédiate. Supérieure en nombre, la cavalerie de l’évêque luthérien charge furieusement les cavaliers espagnols qui se débandent. Toutefois, au lieu de poursuivre les fuyards, les troupes luthériennes se jettent sur les bagages qu’elles pillent. Elles s’emparent du carrosse du comte d’Isenbourg, du trésor de guerre de don Gonzalès et de ses papiers.
À ce moment apparaît le colonel Gaucher « qui, bien que fort incommodé d’un bras, était arrivé la veille à francs étriers, du fond du Luxembourg ». Gaucher, qui tient absolument à participer à la « fête », rassemble la cavalerie espagnole, contre-attaque sur les cavaliers d’Halberstadt et les repousse « l’épée dans les reins ».
Incapables de détruire la faible cavalerie espagnole, les troupes luthériennes sont obligées de s’attaquer à la redoutable infanterie espagnole. Six charges suivent. L’une après l’autre, elles se brisent contre les piques des fantassins de la Ligue catholique.
À mesure que la journée s’avance, la bataille reste indécise. Mansfeldt, voyant ses troupes fondre sans résultat, décide de prendre lui-même la direction de l’attaque du centre espagnol où les tercios, érodés par les charges précédentes, cèdent lentement. Une terrible mêlée s’ensuit. Si désormais le surnombre des troupes luthériennes devient un paramètre important, la victoire à cette seconde n’est ni d’un côté ni de l’autre et seule la valeur des hommes en présence fera la différence. En effet, il reste un espoir à Cordova : d’un instant à l’autre une troupe de quelques milliers de paysans, réquisitionnés par le comte de Solre, grand bailli de Hainaut, peut arriver sur le champ de bataille et faire basculer la victoire.
Vers les 11 h du matin, la lutte s’éternisant, Halberstadt et Mansfeldt sont obligés de faire un choix : poursuivre la lutte jusqu’à la destruction de l’ennemi au risque d’être eux-mêmes réduits à néant, ou fuir. Rassemblant toutes leurs forces, dans un sursaut d’énergie, ils parviennent à contourner l’extrême gauche espagnole et fuient. Les troupes espagnoles, épuisées par la lutte, ne peuvent ou ne veulent les arrêter.
Córdova l’emporte puisqu’il reste maître du champ de bataille mais les troupes de Mansfeldt et d’Halberstadt n’ont pas été écrasées. Les luthériens ont certes perdu 18 étendards et 3 000 hommes, soit environ un cinquième de leur effectif, mais la troupe n’a désormais plus rien qui puisse s’opposer à son passage. De leur côté les espagnols ont perdu environ 1/10 de leurs combattants, parmi lesquels 300 morts et 900 blessés.
Quant aux paysans attendus, ils ne sont jamais arrivés sur le champ de bataille ; mal informé, le comte de Solre les a dirigés sur Mons.
Fleurus, où quelques mousquetaires s’étaient retranchés, doit être « nettoyée ». La ville en sort presque entièrement incendiée. Mais les multiples souterrains de la ville ont permis aux habitants de la cité de survivre.
Son infanterie étant trop fatiguée par la marche forcée et le combat, don Gonzalès de Córdova renonce à poursuivre l’ennemi. Mais la cavalerie s’élance.
À la tombée de la nuit, les Espagnols arrivent devant Gembloux où ils font halte. Le lendemain, le colonel Gaucher, à la tête d’une troupe de cuirassiers, rejoint l’infanterie ennemie restée en arrière et la taille en pièces.
Au total, durant la fuite, Mansfeldt et Halberstadt perdront 8 000 hommes supplémentaires, leurs bagages et leur artillerie. Cependant les quelques troupes leur restant suffiront à lever le siège de Bergen op Zoom qui durait depuis déjà trois ans.
Mini-film de la bataille
Ce mini-film réalisé par l’OCTF est mis à notre disposition afin de vous permettre de mieux comprendre les événements de cette journée. Les documents sur cette bataille étant rares et souvent peu clairs, il s’agit ici d’une interprétation des événements.
Il vous est possible d’en regarder en ligne un extrait (50", 3,4 Mo) grâce au lien ci-dessous, et de le télécharger ensuite la version complète (7'17", 27,4 Mo) sous forme de fichier compressé pour « consommer » en toute tranquillité.
Si vous n’arrivez pas à lire le fichier ci-dessus, c’est probablement car vous ne possédez pas le lecteur approprié. Il est disponible à l’adresse suivante : http://www.apple.com/quicktime/download/
Après la bataille
Informées de la bataille de Fleurus, l’Infante ordonna que des soins soient portés aux blessés sans tenir compte du parti auquel ils appartenaient. Elle visita même certains d’entre eux et assura leur subsistance.
Que devint Christian von Halberstadt ?
Au cours de la bataille de Fleurus, Christian von Halberstadt a été blessé par une balle au bras gauche. Mal soignée, la gangrène a gagné le membre.
C’est durant la fuite, dans la campagne du pays de Liège, au son des trompettes et des tambours, que l’évêque choisit de subir l’opération qu’il supporta d’ailleurs - nous dit sa légende - avec un extraordinaire courage. Cette mutilation n’eut d’ailleurs aucune influence sur « la fougue de ses passions ». Réfugié à La Haye, il s’y fit fabriquer par un artiste adroit un bras en argent (ou en fer, selon d’autres sources) qui, grâce à un ingénieux mécanisme, remplaça, du moins dans une certaine mesure, le bras disparu.
Bizarrerie de l’histoire : parmi les étendards tombés aux mains des Espagnols se trouvait celui d’Halberstadt sur lequel figurait un bras sortant du ciel avec la devise « pour la Liberté ». « On considéra, écrit le comte de Villermont, comme un châtiment providentiel que le prince incendiaire eut été justement frappé au bras ». Il continua cependant à se battre pour les protestants et mourut de maladie à Wolfenbüttel le 16 juin 1626.
Que devint Ernest de Mansfeldt ?
En Hollande, où il était arrivé avec les rescapés de Fleurus, Mansfeldt reçut un accueil digne d’un ami. Rapidement, il reprit le combat et entra en Westphalie où ses soudards, selon leur habitude, pillèrent plusieurs villes.
Vers 1624 il fit trois voyages à Londres où il fut une nouvelle fois acclamé comme un héros par la populace, et au moins un à Paris. À l’instigation du roi d’Angleterre Jacques Ier, désireux de reconquérir le Palatinat (sa fille Elisabeth Stuart étant l’épouse de Frédéric V), Mansfeld repassa en janvier 1626 de Douvres aux Pays-Bas. Après une nouvelle défaite le 25 avril 1626, au pont de Dessau, il parvient très rapidement à lever une nouvelle armée. Suite à un changement de politique, Mansfeld est contraint de la licencier avant même le premier combat. Il part alors vers Venise pour y lever de nouvelles troupes mais tombe gravement malade en route. Il meurt réconcilié avec l’Église Catholique, le 29 novembre 1629, et est inhumé à Spalato.
Ce texte a été en partie adapté d’un original de Jean Godet paru en 1983.
Certaines informations sont issues du site : http://www.geocities.com/aow1617/fleuruses.html