La situation belge au printemps 1815
5ᵉ partie, la situation belge au printemps 1815
Parties précédentes et suivantes (liste extraite du document original) :
- 1ᵉʳe partie : de sa naissance au 100 jours
- 2ᵉᵐᵉ partie : le retour de l’aigle
- 3ᵉᵐᵉ Napoléon, Empereur des Français
- 4ᵉᵐᵉ partie, de lourds nuages
- 6ᵉᵐᵉ partie, l’acte d’allégeance
- 7ᵉᵐᵉ partie, ouverture de la campagne
- 8ᵉᵐᵉ partie, l’armée française de juin 1815
- 9ᵉᵐᵉ partie, l’entrée en campagne
- 10ᵉᵐᵉ partie, « la marche de l’Empereur »
- 11ᵉᵐᵉ partie, après‑midi du 15 juin
- 12ᵉᵐᵉ partie, le 15 juin au soir
- 13ᵉᵐᵉ partie, la matinée du 16 juin
- 14ᵉᵐᵉ partie, avant le combat
- 15ᵉᵐᵉ partie, la bataille
- 16ᵉᵐᵉ partie, le charnier
Quant à la conférence de Vienne, sous la pression, elle est parvenue à un accord définitif.
L’acte final du Traité de Vienne du 9 juin 1815 attribue à la Hollande les territoires occupés par les Prussiens au-delà de la Meuse. Seule Malmedy la wallonne restera prussienne.
Vu les circonstances, le Sud des Pays‑Bas (Belgique) qui, au début de l’année 1815, n’était plus occupée que par une petite armée anglo‑hanovrienne de 20 000 hommes, voit arriver des renforts prussiens et anglais. Une armée aux ordres de Wellington et une autre commandée par Blücher. Ces troupes assureront la couverture en attendant de devenir l’avant‑garde de l’offensive prochaine.
La présence de ces armées sur le territoire belge a un autre avantage.
Réveillés par le retour de l’Empereur, les partisans belges de la France, las des vexations qui leur sont imposées, s’agitent.
C’est ainsi que se crée à la frontière un mouvement de va‑et‑vient, de transfuges, d’espions et de déserteurs. À Cambrai, un sous‑officier belge déclare avoir fait passer cinquante Belges en France.
Le général hollandais Storm de Grave rapporte qu’il règne un très mauvais esprit au régiment belge de hussards n°8 à Anvers. Le 12 avril 1815, 160 hussards de ce même régiment désertent et quittent Mons pour passer en France.
D’après le général Martuschewitz, les hussards hanovriens au service de l’Angleterre désertent en grand nombre. Ce sont surtout des Alsaciens, des Lorrains et des Belges qui avaient été faits prisonniers en Espagne et qui ont été libérés depuis peu ou incorporés de force.
Dans ses mémoires, le général Marbot note :
Saint‑Amand (France), 8 mai… Depuis huit jours, la désertion est au dernier degré dans les troupes étrangères. Les soldats belges, saxons, hanovriens, arrivent par bandes de 15 à 20. Ils affirment que les russes ne viennent pas et qu’on croit qu’il n’y aura pas de guerre. Cela paraît ici presque certain. S’il en arrive ainsi, que de paroles perdues ! Que de projets qui se trouveront manqués !…
Dans un rapport au général Tindal, le colonel hollandais Palavicini signale que des officiers du dépôt des hussards belges ont échangé des coups de sabre avec des officiers hanovriens. L’état d’esprit des militaires, composant les régiments à peine formés en Belgique, est inquiétant.
Au début de juin 1815, toutes les unités « belges » seront donc noyées dans les divisions hollandaises.
En France, on s’organise pour accueillir les déserteurs. Le 5e Étranger est créé. Le général Sébastiani écrit à Davoust : «Je pense qu’il serait utile de faire savoir sur toute la ligne que tous les anciens militaires belges qui voudront rejoindre leur corps y seront reçus avec plaisir et même en obtenant des avantages».
Davoust fait savoir à Evain, chef de la division d’artillerie au ministère de la guerre : «Il faut 3 000 fusils à Guise et à Avesnes dans les meilleurs délais pour pouvoir armer les paysans belges et liégeois si nous avons du succès».
De nombreux petits détails s’ajoutent les uns aux autres qui laissent penser que le peuple belge attend les Français. Ainsi, presque tous les gardes champêtres sont de vieux soldats attachés à l’Empereur. Ils l’informent avec autant de précision que possible des stationnements et des mouvements des troupes alliées.
Le duc de Wellington s’en inquiète le 5 avril 1815 auprès de Gneisenau, chef d’état‑major du maréchal Blücher :
«Ce pays est si intéressant pour les puissances alliées qu’il serait de la dernière importance pour Bonaparte de nous faire rétrograder derrière Bruxelles, de chasser le roi de France et de renverser l’ordre de choses qu’a établi ici le roi des Pays‑Bas. Ce serait d’un effet terrible sur l’opinion publique.»
Quant à la population civile de nos régions, en juin 1815, elle semble n’aspirer qu’à une seule chose : la paix… Mais une paix juste.
Depuis le retrait et la capitulation des troupes françaises en avril 1814, notre région a été occupée par les Alliés, avec plus ou moins de chance suivant les nationalités stationnées dans les entités. Mais, en règle générale, on peut admettre que le comportement de ces troupes et les réquisitions qu’elles effectuaient sur le pays ne leur ont pas attiré la sympathie des habitants.
C’est ainsi que le major de Wesemer écrit de Charleroi, le 17 mars 1815 :
«Le peuple d’ici est laborieux et industrieux, par conséquent bon et nullement incliné à prendre un mauvais parti, mais je ne puis en dire autant de beaucoup de gens aisés, la plupart nés français, dont j’ai appris à connaître la façon de penser à l’occasion de la fête qui a eu lieu ici à l’honneur de notre Roy; ces gens pour montrer leur mépris, à peine auraient‑ils une chandelle à leur fenêtre; ils ont tenu même des propos indécents et dangereux contre le gouvernement… Il est venu à ma connaissance qu’il se tient ici des assemblées nocturnes et que l’on y boit à la santé de Napoléon… Un homme de la maréchaussée a été arrêté pour avoir crié “Vive Napoléon” dans un café …»
Le 16 avril 1815, l’intendant de Jemappes, Monsieur de la Motte, répond au maire de Bruxelles, van der Linden d’Hoogvorst qu’il lui est impossible de faire face à toutes les réquisitions des Alliés.
«… L’arrondissement de Charleroy est encore en position plus affreuse puisqu’il est ruiné par le passage des corps de messieurs les généraux Wintzingerode, Boyen, Bülow, Borschtell, etc… »
Au mois d’avril, la maréchaussée signale que «des officiers de Napoléon répandent des adresses séditieuses dans les environs de Charleroy».
Fin avril, un inspecteur général des postes de France qui se réfugie en « Belgique » a prévenu le commandant de la place de Charleroy de «se tenir sur ses gardes car il y aura des coups de fusil bientôt».
Le commandant de la place rapporte encore : «Sur la place publique de la ville haute un nommé Leçon devant une foule de monde a tenu des propos indécents et dangereux en apostrophant un déserteur français et après avoir fait entendre publiquement sa façon de penser, il accabla ce malheureux d’injures en lui reprochant qu’il était un lâche d’avoir abandonné les drapeaux de son souverain légitime Napoléon …»
D’autres témoignages, provenant des forces d’occupation alliées, révèlent le gouffre grandissant entre la population et le pouvoir. Les Anglais ne s’y trompent pas. «Ils sont Français de coeur» dit un lieutenant dénommé Woodberry dans son Journal de Campagne.
Un autre, Cavalié Mercer, remarque : «Ils nous regardent avec un dédain railleur.»
Parlant des Bruxellois, un officier d’état‑major, le lieutenant‑colonel Basil Jackson, est forcé d’avouer : «Une bonne moitié d’entre eux est Française de coeur et prête à accueillir en amis un Napoléon victorieux.»
Le 7 juin, peu de jours avant le début des combats, Monsieur de la Motte écrit au gouverneur général :
«… Les mêmes plaintes me parviennent de l’arrondissement de Charleroy: des maires arrêtés, réduits au pain et à l’eau, distraits de leurs juges naturels, la responsabilité du sous‑intendant de Charleroy méprisée et en résultat des troupes abandonnées, sans chefs et par suite une insubordination qui paraît ne plus avoir de bornes. D’un autre côté, le peuple irrité et pouvant inconsidérément user de droit de représailles. Tel est à cette heure, l’état de l’arrondissement de Mons et Charleroy.»
Comment donc s’étonner que les Carolos ne marquent guère d’enthousiasme pour le nouveau gouvernement et un roi des Pays‑Bas que son «administration» surnomme «Guillaume le Bon»?
Voici l’état d’esprit et la situation dans lesquels nos concitoyens de l’époque allaient voir se lever le soleil du 15 juin 1815…
Sans doute faut‑il trouver là également la raison pour laquelle, le 16 juin, le nombre d’officiers et d’autres militaires originaires de nos provinces sera beaucoup plus élevé dans l’armée française que dans l’armée néerlandaise.
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